" Silvio Gesell - Une monnaie pleine d'intérêt "
MONNAIES LOCALES
(Article du Hors-série "SILENCE - SEL : Pour changer, echangeons" - Pages 7)
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Quelques explications sur le système de monnaie franche tel que Silvio Gesell l'a imaginé.
S
ilvio Gesell naît en 1862 près d'Aix-la-Chapelle. Autodidacte, il se fixe à l'âge
de 24 ans en Argentine où il fait rapidement fortune comme fabricant d'instruments
dentaires. Jusqu'ici rien que de très banal. Mais, en 1900, Gesell, en pleine
force de l'âge, se retire brusquement des affaires, quitte la vie active et se
fixe en Suisse (Neuchâtel). La-bas, il se met à développer les théories qu'il
a présentées dans son livre "L'Ordre Economique Naturel". Gesell imaginait une
société sans organes d'Etat, fondée sur une économie de marché sans crises ni
monopoles extorqueurs d'intérêts et de gains spéculatifs. Un constat amer Pour
Silvio Gesell, le constat économique est le suivant : la quantité de monnaie gagnée
par l'or ne suit pas le rythme de l'accroissement de la production et de la richesse,
et cette disproportion est la cause principale des désastres économiques, dits
"crises d'inflation". D'où cette question fondamentale comment supprimer la position
de force de l'argent dans le circuit économique ? Gesell répond en citant Proudhon
: "Procurez à l'économie un circuit fermé, c'est-à-dire un échange parfait et
régulier des biens ; élevez la marchandise et le travail au rang de l'argent liquide,
alors la communauté humaine est assurée, le travail est organisé raisonnablement".
Gesell voulait en effet conserver la fonction positive du marché et de l'argent
comme moyen d'échange (et mesure de valeur) des produits mais dans une économie
libérée des monopoles et des crises. Il s'agissait d'éliminer les fonctions négatives
de la monnaie (or) capitaliste. "Il est impossible cependant d'élever la marchandise
et le travail au rang de l'argent liquide.
Ni
la force de travail ni les marchandises ne peuvent se conserver comme l'argent.
Ce qu'ils offrent se dégrade, nécessite des frais d'entretien ; tandis que le
possesseur d'argent peut le retirer sans problème du circuit économique et attendre
l'occasion favorable. L'argent ne se dégrade pas. C'est ce qui lui donne ce caractère
fascinant, diabolique. Il devient un fétiche, un objet qui représente la valeur,
en dehors du temps, et qu'on peut stocker". Mais l'argent a encore un deuxième
avantage sur la marchandise: c'est son caractère universel, sa liquidité, sa possibilité
d'être transformé en n'importe quelle marchandise. Dégrader aussi la valeur de
l'argent Cette position de force dans le circuit doit être contrebalancée, d'après
Gesell, par une dégradation de la valeur de l'argent comparable à la dégradation
moyenne des marchandises estimée alors à 5% par an. Ainsi le possesseur d'argent
sera-t-il obligé de l'offrir sur le marché. Il sera content de pouvoir le prêter
pour échapper aux frais de 5% que lui coûtera le fait de garder l'argent dans
sa caisse. Il sera ainsi dans la même situation que n'importe quel prêteur de
marchandises : l'avantage du prêteur réside dans le fait qu'il récupère son bien
au bout d'un certain temps, sans qu'il ait perdu de la valeur. L'argent ne pourrait
plus exploiter sa position de monopole comme moyen d'échange entre les marchandises
ni exiger une prime de liquidité, un intérêt. Cet intérêt est imposé par le prêteur
par le seul fait qu'il n'est pas obligé de placer son argent. Il n'est donc pas
la rémunéra-tion d'un service accompli par le prêteur C'est un revenu qui lui
revient sans travail de sa part, uniquement du fait qu'il profite de la position
de l'argent sur le marché. Ce marché est ensuite gravement faussé par le fait
qu'il y circule de l'argent qui n'est pas le produit d'un travail. Cela se passerait
autrement si on adoptait une monnaie dégradable. Si l'argent liquide était soumis
à une perte de valeur, l'emprunteur rendrait service au prêteur : celui de lui
rendre la somme entière à la date convenue. C'est l'emprunteur qui paierait alors
la dégradation de l'argent, car c'est lui qui a besoin d'argent liquide. Et concrètement
? Avec le système Gesell, c'est la possession d'argent "liquide" (mais gelé !),
qui est soumise à intérêt Par exemple, au moyen de billets de banque avec 12 cases
au verso : chaque mois, il faut y coller un timbre de la valeur de 0,5 % du billet.
Ce qui fait 6% de dégradation de valeur pour l'année. Celui qui veut échapper
à cette érosion (conserver 100 000 F coûte 6 000 F par an !) soit dépensera (s'il
veut économiser, il peut acheter une oeuvre d'art) ou prêtera (c'est-à-dire trouvera
quelqu'un qui dépensera à sa place). Comme l'argent est maintenant obligé de s'offrir
sur le marché tout autant que les marchandises, le prêteur ne peut plus exiger
intérêts : l'emprunteur trouverait facilement de l'argent chez quelqu'un d'autre.
Comme les prix restent stables, celui qui économise ne perd pas le fruit de son
travail ; mais il ne peut extorquer non plus le fruit du travail des autres grâce
à une "prime de liquidité".
Alain
LEMAITRE
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